Connaissez-vous le black carbon ? Le projet ExpAIR nous en apprend sur ce polluant urbain
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Sommaire
L’enjeu de la qualité de l’air à Bruxelles
Même si les teneurs de certains polluants ont fortement diminué depuis les années 70, la pollution de l’air, dont notamment le taux de particules fines et de dioxyde d’azote, reste un problème préoccupant pour la santé des citoyens. En effet, de nombreuses études révèlent que l’exposition à ces polluants peut réduire l’espérance de vie de plusieurs mois.
Ce phénomène est d’autant plus important dans les grandes villes, comme Bruxelles, où les habitants sont confrontés à deux types de pollution : celle de l’air intérieur, présente au sein des bâtiments et, celle de l’air extérieur, émise principalement par les véhicules circulant sur un réseau urbain très dense et par les installations de chauffage.
Les objectifs du projet ExpAIR
Le projet ExpAIR a débuté en 2013. Il avait pour objectifs :
- d’évaluer l’exposition de la population à la pollution de l’air en Région de Bruxelles-Capitale, en mesurant les concentrations de polluants les plus représentatifs des environnements intérieur et extérieur et en établissant une cartographie de la pollution ;
- d’informer et sensibiliser la population bruxelloise à son exposition à la pollution urbaine et l’encourager à la réduire, par exemple en choisissant des modes de transports et/ou des systèmes de chauffage plus respectueux de l’environnement.
Les substances nocives dans l’air qui résultent de nos activités sont nombreuses. On peut citer : les particules fines (PM10, PM2.5), le monoxyde de carbone (CO), l’ozone (O3), les oxydes d’azote (NOx), les composés organiques volatils (COV), etc. Dans le cadre de ce projet, le polluant de référence retenu pour l’air extérieur est le black carbon, une sous-catégorie des particules fines.
Le black carbon
Qu’est-ce que le black carbon ?
Dans le contexte urbain, le black carbon constitue une sous-classification des particules fines dont la pertinence est remarquable. Le black carbon regroupe, comme son nom l’indique, toutes les particules formées de carbone, et « noires », c’est-à-dire absorbant fortement la lumière.
Il se retrouve typiquement dans une gamme de diamètres allant de 10 nm à 500 nm, les dimensions supérieures à 100 nm correspondant à une forme agrégée du black carbon avec d’autres polluants. Le black carbon est ainsi intégralement compris dans la fraction PM10 et PM2.5, et en partie dans la fraction des particules ultrafines (UFP) dont le diamètre inférieur à 100 nm (voir Figure 1).

La caractéristique principale du black carbon est qu’il s’agit d’un polluant particulaire fortement lié aux processus de combustion. C’est la raison pour laquelle on l’identifie souvent à la « suie ». En environnement urbain, le black carbon est ainsi un excellent indicateur du trafic routier (combustion dans les moteurs des véhicules), ainsi que du chauffage (selon la période de l’année). Il peut également se retrouver dans les processus de combustion industriels mais ce secteur est marginal en Région de Bruxelles-Capitale.
Le black carbon est-il dangereux pour la santé ?
Les particules de Black Carbon présentent des risques importants pour la santé (cancer, affections cardio-vasculaires, etc) car elles pénètrent profondément dans les poumons et dans le sang à cause de leur très petite taille (leurs diamètres sont principalement compris entre 10 et 150 nm). D’un point de vue impacts sur la santé, l’impact santé potentiel lié au black carbon est significatif mais, comme ce polluant est étudié depuis peu, son impact à long terme devra encore être confirmé par des études épidémiologiques. En outre, le black carbon agit comme un « porteur » d’autres polluants, notamment les hydrocarburesCe sont des composés organiques liquides constitués de carbone et d’hydrogène dérivés du pétrole. Le mazout, l’essence et d’autres types d’huiles minérales en font partie. Ces huiles ont la particularité d’avoir une faible densité. Lorsqu’elles s’infiltrent dans le sol, elles peuvent atteindre l’eau souterraine et y former une couche flottante. aromatiques polycycliques dont certains sont reconnus comme cancérigènes.
OMS (WHO Regional Office for Europe, 2012) :
‘[…] there are not enough clinical or toxicological studies to (a) allow an evaluation of the qualitative differences between the health effects of exposure to black carbon or those of exposure to PM mass or (b) identify any distinctive mechanism of black carbon effects.
Black carbon may operate as a universal carrier of a wide variety of combustion-derived chemical constituents of varying toxicity to sensitive targets in the human body, such as the lungs, the body’s major defense cells and, possibly, the systemic blood circulation.’
Comment mesure-t-on le black carbon ?
Le black carbon peut être mesuré grâce à un petit appareil qui tient dans la main (figure 2).

Sur le plan du principe de mesure, l’air échantillonné est amené sur un filtre en quartz qui collecte les particules présentes, dont les particules de Black Carbon. Une lumière émise par une diode électroluminescente à la longueur d’onde de 800 nm est envoyée en deux points sur le filtre en quartz, l’un qui accumule les particules dont le Black Carbon, et l’autre qui reste vierge. Les intensités de lumière qui traversent ces deux points sont mesurées afin de quantifier l’atténuation liée au dépôt de particules solides.
Ce moniteur portatif a permis de de déceler les lieux et les moments où l’on est le plus exposé à la pollution.
L’exposition individuelle au black carbon
Les mesures ExpAIR lancées en 2013
Au total, 276 volontaires ont participé de 2013 à avril 2017 à la campagne de mesure en portant en permanence le moniteur portatif mesurant le black carbon pendant les jours ouvrables, généralement du lundi au vendredi. Les participants étaient invités à compléter un carnet de route pour noter leurs différentes activités, et en particulier les périodes de trajet et les modes de transport choisis.
Cette campagne a permis de comparer les expositions au black carbon dans différents lieux intérieurs et extérieurs (Figure 3). Il en ressort les conclusions suivantes :
- En règle générale, c’est dans les transports que notre exposition au black carbon est la plus importante. En moyenne, elle est 3 fois plus élevée que la pollution de fond ou que le niveau moyen en air intérieur.
- L’exposition à l’intérieur des bâtiments, que ce soit au domicile ou sur le lieu de travail, est faible et le plus souvent comparable à la pollution de fond. Exprimée en termes de concentration de black carbon, elle est de l’ordre de 1 µg/m³.
- L’exposition la plus faible a été mesurée sur le lieu de travail. Il est à noter qu’environ 50% des participants provenaient de Bruxelles Environnement. Les niveaux mesurés étaient particulièrement faibles lorsque les bâtiments étaient équipés d’une ventilation mécanique et d’une prise d’air sur le toit.
En ce qui concerne plus spécifiquement le transport (Figure 4) :
- Les automobilistes apparaissent les plus exposés au black carbon, avec des niveaux environ 5 fois supérieurs à ceux rencontrés en air intérieur ;
- Les usagers des bus, tram et métro, ainsi que les cyclistes, sont exposés à des niveaux de black carbon 3 à 4 fois supérieurs à ceux de l’air intérieur ;
- Les piétons sont sensiblement moins exposés, avec des valeurs 2 à 3 fois supérieures à celles de l’air intérieur ;
- Les usagers du train sont les moins exposés grâce à une circulation sur des sites relativement distants des axes routiers.
Cartographie du black carbon
Modélisation du black carbon et exploitation des données collectées
Afin d’exploiter au mieux les données collectées par les participants volontaires à la campagne ExpAIR, une méthodologie a été mise en place afin de cartographier les concentrations de black carbon dans les principales rues de la Région bruxelloise.
Celle-ci s’articule autour d’une modélisation de la qualité de l’air couplée à une « recalibration » basée sur les mesures mobiles.
La modélisation est basée sur un modèle « de rue canyon » simple pour obtenir des valeurs de concentrations dans les rues de Bruxelles. Pour calculer les concentrations, le modèle se base notamment sur :
- le nombre de véhicules par heure dans chaque rue ainsi que leur vitesse moyenne,
- la vitesse et la direction du vent au niveau des toits, heure après heure,
- les dimensions caractéristiques de la rue, soit
- d’une part la hauteur moyenne des bâtiments,
- d’autre part la largeur moyenne de la rue (distance d’une façade à l’autre),
- les concentrations de fond en black carbon mesurées par le réseau télémétrique (5 stations).
La recalibration repose sur les mesures effectuées par les participants à la campagne. Elle a pour objectif de corriger statistiquement les valeurs brutes du modèle. Cette méthodologie permet de réduire l’incertitude du modèle et de ramener les valeurs modélisées vers une gamme de valeurs compatible avec les concentrations observées.
Cartographie du black carbon dans l’ensemble de la Région bruxelloise
Cartographier les axes les plus polluants était l’un des objectifs de l’expérience. Dans ce cas-ci, la carte du black carbon obtenue permet d’évaluer les différences de concentrations moyennes entre les différentes rues de la ville. Il s’agit pour rappel de moyennes des concentrations de trottoirs gauche et droit sur une longue période. La carte présentée ici ne capture donc pas les variations spatio-temporelles de concentration au sein même de la rue qui dépendront entre autres :
- de la manière dont l’écoulement local de l’air à lieu, étant donnée l’agencement précis des rues (carrefours, places, etc. ) et les détails fins de leur géométrie (abribus, arbres, etc.).
- de la variation précise du trafic et en particulier de la congestion, non prise en compte ici. On utilise en effet comme donnée le nombre de véhicules par heure mais l’écoulement précis des véhicules n’est pas connu. Les effets d’accumulation des polluants liés aux différents arrêts du trafic (feux rouges, embouteillages, etc.) ne sont également pas pris en compte.
Les résultats présentés en figures 5, 6 et 7 sont des moyennes sur la période 2014-2016 et permettent de donner un aperçu de la situation actuelle de la qualité de l’air tout en exploitant les mesures effectuées sur ces trois années.
Si l'on considère la valeur de 1 µg/m³ comme référence correspondant à la pollution de fond ou encore au niveau moyen à l'intérieur des habitations, on constate que les concentrations moyennes lors des heures de pointe sont entre 2 et 5 fois plus élevées que cette valeur de référenceConcentration de polluant jusqu'à laquelle on considère qu il n'y a pas de pollution car il n'y a pas de risque pour l'environnement ni pour la santé humaine. C'est également un objectif de qualité à long terme. dans 73 % du réseau routier, et plus de 5 fois plus élevées pour 4 % des routes.
Dans le détail, les concentrations de black carbon en journée, lors des heures de pointe et hors heures de pointe, se répartissent comme suit dans le réseau routier bruxellois :
Impact de la géométrie de la rue et de l’intensité du trafic sur l’accumulation des polluants
La concentration moyenne dans une rue dépend donc de nombreux paramètres, tels que les conditions météorologiques, les caractéristiques de la rue, l’intensité du trafic, la pollution de fond, etc. A un instant donné, les deux paramètres les plus significatifs pour expliquer les différences de concentrations entre rues sont la géométrie de la rue et de l’intensité du trafic.
On parle de « rue canyon » quand celle-ci est fortement enclavée par des bâtiments, par opposition à une « rue ouverte », sans obstacles avoisinants et dans laquelle la dispersion des polluants n’est pas entravée. Dans une rue canyon, le modèle calcule les concentrations sur les trottoirs gauche et droit en tenant compte du phénomène de « recirculation » des polluants (figure 7). Dans une rue ouverte, il n’y a pas de recirculation, seulement les contributions directes.
Le profil de recirculation en forme de vortex provient de l’engouffrement du vent au niveau des toits dans la rue, et provoque une accumulation des polluants du côté de la rue depuis lequel souffle le vent. En effet, la pollution de fond, entraînée par le vent, s’ajoute alors à la contribution locale du trafic.
Cependant, la concentration est fortement corrélée au nombre de véhicules dans la rue, comme on peut le voir sur la figure 8. Deux régimes peuvent en fait être distingués :
- le régime « rue canyon », présentant une croissance rapide des concentrations avec le nombre de véhicules,
- le régime « rue ouverte », présentant une croissance plus faible des concentrations avec le nombre de véhicules, puisque les polluants y sont globalement mieux dispersés.
La dépendance des concentrations modélisées à la géométrie de la rue est présentée sur la figure 9 pour une période de un an. En abscisse, on a porté le rapport entre la hauteur moyenne et la largeur de la rue. Si ce rapport est égal à 1, la rue est aussi large qu’elle est haute. Si ce rapport est plus petit que 1, les bâtiments sont plus petits que la largeur de la rue et inversement, si ce rapport est plus grand que 1, les bâtiments sont plus élevés que la largeur de la rue. En ordonnée, on a tracé la concentration annuelle moyenne dans une rue virtuelle de largeur fixée et possédant des bâtiments de hauteur variable.
On peut constater que les concentrations sont les plus basses pour les rues ouvertes (rapport hauteur/largeur = 0) et augmentent d’abord rapidement, puis plus lentement, à mesure que les bâtiments « grandissent ».
De cette analyse, on peut conclure que :
- Les concentrations de black carbon augmentent proportionnellement avec l’intensité du trafic. L’augmentation est de l’ordre de 0,5 µg/m³ par accroissement de 1000 véhicules/heure dans les rues ouvertes, et de 2 µg/m³ pour le même accroissement dans les rues bordées de hauts immeubles (ou rues « canyon »).
- Les concentrations de black carbon sont, en moyenne, 2 à 3 fois plus élevées dans une rue « canyon » que dans une rue ouverte.
- Lorsque le vent souffle perpendiculairement à l’axe d’une rue « canyon », les polluants ont tendance à s’accumuler sur le trottoir en amont du vent. En moyenne, les concentrations de black carbon sont 20 à 40 % plus élevées sur le trottoir en amont du vent que sur celui en aval du vent.
Conclusions de la campagne de mesure ExpAIR
De l’ensemble des résultats collectés, il en ressort que c’est dans les transports que notre exposition au black carbon est la plus importante. En moyenne, elle est 3 fois plus élevée que la pollution de fond ou que le niveau moyen en air intérieur.
En considérant les différents modes de transport, il apparaît que :
- Les automobilistes apparaissent les plus exposés au black carbon, avec des niveaux environ 5 fois supérieurs à ceux rencontrés en air intérieur ;
- Les usagers des bus, tram et métro, ainsi que les cyclistes, sont exposés à des niveaux de black carbon 3 à 4 fois supérieurs à ceux de l’air intérieur ;
- Les piétons sont sensiblement moins exposés, avec des valeurs 2 à 3 fois supérieures à celles de l’air intérieur ;
- Les usagers du train sont les moins exposés grâce à une circulation sur des sites relativement distants des axes routiers.
Sur base de la cartographie du black carbon établie pour l’ensemble de la Région bruxelloise, on constate que les concentrations moyennes lors des heures de pointe sont entre 2 et 5 fois plus élevées que la pollution de fond ou à l'intérieur des habitations dans 73 % du réseau routier, et plus de 5 fois plus élevées pour 4 % des routes.
On note aussi que les concentrations de black carbon sont, en moyenne, 2 à 3 fois plus élevées dans une rue bordée de hauts immeubles (dite rue « canyon ») que dans une rue ouverte.
Dans une rue « canyon », le choix du trottoir peut également avoir son importance lorsque le vent souffle perpendiculairement à l’axe de la rue. En moyenne, les concentrations de black carbon sont 20 à 40 % plus élevées sur le trottoir en amont du vent que sur celui en aval.
La cartographie produite dans le cadre de ce projet est mise à disposition du public sur le site internet de Bruxelles Environnement. A l’avenir, un planificateur de trajets sera proposé pour mieux choisir son parcours en réduisant l’exposition au black carbon.